Bénéfice du ciblage des anomalies moléculaires du cancer du pancréas métastatique : un pas vers la médecine de précision
Société Savante des Maladies et Cancers de l'Appareil Digestif

Domaine concerné
Thérapeutique

Degré d'innovation
Important

Avancement
Non validé

Impact patient

Impact soin
Important

Intérêt

Arrivée dans la pratique
Futur proche

Rédacteur
Docteur Louis DE MESTIER

Enthousiasme

À la une 13/07/2020

Bénéfice du ciblage des anomalies moléculaires du cancer du pancréas métastatique : un pas vers la médecine de précision

L’objectif de cette étude était d’explorer l’impact sur la survie du ciblage thérapeutique d’anomalies moléculaires tumorales, chez des patients atteints de cancer pancréatique métastatique.

 

Le programme Américain « Know Your Tumor » visait à réaliser, à partir de matériel tumoral paraffiné, une étude centralisée des principales anomalies moléculaires, incluant les voies de réparation de l’ADN comme la recombinaison homologue (BRCA1/2, PALB2, ATM, gènes FANC, etc.), le système MMR ainsi qu’un large panel d’anomalies moléculaires pour lesquelles des thérapies ciblées existent (BRAF, CDK4, HER2, fusions impliquant ROS1, NTRK ou ALK, STK11, CDK4/6, etc…). Après discussion au cas par cas en RCP moléculaire centralisée, des recommandations de traitement ciblé étaient formulées.

 

Sur les 1 856 patients adressés au programme, 1 082 ont pu avoir la recherche moléculaire parmi lesquels 282 (26 %) présentaient au moins une anomalie moléculaire « ciblable ». Les anomalies les plus fréquemment identifiées concernaient la voie de la recombinaison homologue (51 %), la voie PI3K/AKT/mTOR (20 %), des amplifications de CDK4/6 (7 %), la voie BRAF/MEK/ERK (7 %) et le système MMR (3 %).


Au total, 677 patients étaient analysables : 46 avec anomalie(s) moléculaire(s) ciblée(s) par traitement (Groupe Ciblé), 143 avec anomalie(s) moléculaire(s) identifiées mais non ciblée(s) par traitement spécifique (Groupe Non Ciblé) et 488 sans anomalie moléculaire ciblable (Groupe Sans Anomalie). Au moment de l’initiation du traitement, ciblé ou non, 61 % des patients avaient reçu au moins une ligne de traitement pour la maladie métastatique. Les traitements ciblés n’étaient pas standardisés et incluaient entre autres les inhibiteurs de PARP (anomalies de la recombinaison homologue), le crizotinib (fusion ALK), les immunothérapies anti-PD1 +/- antit-CTLA4 (déficience MMR) et l’évérolimus (anomalies voie mTOR).

 

La médiane de survie globale à partir du diagnostic de maladie métastatique était de 2,58 ans dans le Groupe Ciblé contre 1,51 ans dans le Groupe Non Ciblé (p=0,0004) et 1,32 ans dans le Groupe Sans Anomalie (p<0,0001 vs. Groupe Ciblé ; p=0,10 vs. Groupe Non Ciblé). Ces différences de survie globale étaient indépendantes du stade de la maladie au diagnostic initial et du nombre de lignes antérieures (dont les sels de platine). Les différences de survie à partir de la seconde ligne de traitement métastasique étaient superposables dans le sous-groupe des patients prétraités. Les différences de survie étaient également similaires dans les sous-groupes des patients dont la tumeur présentait une anomalie de la voie de la recombinaison homologue, ou de ceux ayant un autre type d’anomalie moléculaire.

 

Dans le sous-groupe des patients prétraités, la médiane de survie sans-progression à partir de la seconde ligne de traitement métastasique était de 10,93 mois dans le Groupe Ciblé contre 4,53 mois dans le Groupe Non Ciblé (p=0,012), et 5,37 mois dans le Groupe Sans Anomalie (p=0,012 vs. Groupe Ciblé).

 

Commentaires
 

Cette étude rapporte un franc bénéfice de survie à chercher et traiter des anomalies tumorales activables dans le cancer du pancréas avancé.

 

Le bénéfice clinique existait en survie globale, en survie sans progression, et dans les sous-groupes de patients prétraités ou non. L’ampleur du bénéfice apparaissait importante. Grâce aux progrès récents faits dans l’identification des anomalies moléculaires des cancers et leur ciblage, jusqu’à 26 % des patients dans cette étude présentaient des anomalies ciblables, ce qui représente le pourcentage le plus élevé dans la littérature du cancer du pancréas à ce jour. Il s’agissait néanmoins d’une étude en monde réel ; les traitements, les délais et les indications n’étaient pas standardisés.


Cette étude est un point de départ encourageant pour la structuration de la recherche thérapeutique sur la médecine de précision guidée par les anomalies moléculaires dans le cancer du pancréas, et apporte déjà un début de justification à une telle démarche au cas par cas dans notre pratique. Néanmoins, la systématisation de cette approche - si elle était confirmée dans des essais de phase III (seraient-ils d’ailleurs bien éthiques ?) - à notre pratique clinique se heurte à plusieurs éléments. D’abord, les analyses ont un coût élevé, une accessibilité encore imparfaite en France (mais avec des progrès majeurs récents grâce au Plan France Génomique), et certains résultats sont d’interprétation difficile. La durée actuelle de ce processus est à mettre en balance avec la gravité et le caractère rapidement progressif du cancer du pancréas. Ensuite, les traitements ciblés posent également des problèmes de coût et d’accessibilité, qui les rendent aujourd’hui difficiles à obtenir en dehors d’essais thérapeutiques. Enfin, faut-il rebiopsier systématiquement les tumeurs ? Autrement dit, les anomalies moléculaires identifiées sur la biopsie initiale sont-elles toujours pertinentes après plusieurs traitements reçus ?


Toutes ces interrogations peuvent se résumer en une : à qui faut-il proposer une recherche d’anomalies ciblables en 2020 ? A tous les patients, dans un monde utopique ? Des critères plus réalistes pourraient inclure les patients jeunes, en bon état général, après progression de la chimiothérapie de première ligne (donc pour un traitement ciblé en troisième ligne), voire au début de la première ligne (donc pour un traitement ciblé en seconde ligne). Les difficultés soulevées par ces questions se traduisent d’ailleurs bien dans cet article du Lancet Oncology, puisqu’au final seulement 2 % des patients testés ont eu accès à un traitement ciblé…

Références
 
Titre :

Bénéfice du ciblage des anomalies moléculaires du cancer du pancréas métastatique : un pas vers la médecine de précision

Titre original :

Overall survival in patients with pancreatic cancer receiving matched therapies following molecular profiling: a retrospective analysis of the Know Your Tumor registry trial

Auteurs :

Michael J Pishvaian, Edik M Blais, Jonathan R Brody, Emily Lyons, Patricia DeArbeloa, Andrew Hendifar, Sam Mikhail, Vincent Chung, Vaibhav Sahai, Davendra P S Sohal, Sara Bellakbira, Dzung Thach, Lola Rahib, Subha Madhavan, Lynn M Matrisian, Emanuel F Petricoin III

Source(s) :

Article

Revue :

The Lancet Oncology

Références biblio. :

Lancet Oncol. 2020 Apr;21(4):508-518.

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