Pancréatite biliaire sévère sans angiocholite : pas de CPRE en urgence !
Société Savante des Maladies et Cancers de l'Appareil Digestif

Domaine concerné
Thérapeutique

Degré d'innovation
Faible

Avancement
Validé

Impact patient

Impact soin
Important

Intérêt

Arrivée dans la pratique
Confirmation

Rédacteur
Docteur Louis DE MESTIER

Enthousiasme

À la une 23/10/2020

Pancréatite biliaire sévère sans angiocholite : pas de CPRE en urgence !

L’objectif de l’étude APEC était d’explorer l’intérêt de la cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) en urgence avec sphinctérotomie endoscopique (SE), en comparaison à un traitement conservateur, chez les patients ayant une pancréatite aiguë biliaire (PAb) prédite comme sévère sans angiocholite associée, pour limiter ainsi la survenue effective de PAb sévère.

 

L’étude APEC était un essai randomisé contrôlé ouvert multicentrique mené dans 26 centres hollandais, entre 2013 et 2017. La population incluse étaient les patients consultant en urgence pour une PAb prédite comme sévère à l’admission (score APACHE-II ≥8, score d’Imrie ≥3 ou CRP >150 mg/L), sans angiocholite et sans antécédent de SE ni de pancréatite chronique. Les patients étaient randomisés dans le bras CPRE + SE en urgence ou dans le bras traitement conservateur, avec une stratification sur la présence d’une cholestase. La CPRE, avec SE systématique, devait être réalisée dans les 24 premières heures suivant l’admission et dans les 72 heures suivant le début des symptômes. 


Le critère principal de jugement composite regroupait la survenue du décès ou de toute complication majeure (défaillance d’organe persistante, nécrose pancréatique, bactériémie, angiocholite, pneumonie, diabète ou insuffisance pancréatique exocrine) dans les 6 mois suivant l’inclusion. Les critères secondaires incluaient la nécessité et la durée de séjour en soins intensifs, la durée d’hospitalisation, la réadmission pour une pathologie biliaire, la qualité de vie et une analyse économique. L’étude prévoyait d’inclure 232 patients en considérant une réduction attendue du critère principal de jugement de 48 % dans le bras conservateur à 30% dans le bras CPRE + SE en urgence.

 

Les 232 patients inclus ont été randomisés dans les bras CPRE + SE en urgence (n=118) ou traitement conservateur (n=114). Les caractéristiques initiales étaient comparables entre les deux groupes. Une cholestase existait initialement chez respectivement 54% et 59% des patients. Le critère principal de jugement est survenu chez 45 patients (38 %) du groupe CPRE et 50 patients (44 %) du groupe conservateur (risque relatif [RR] 0,87 ; IC 95% [0,64-1,18]; p=0,37). Dans le bras CPRE, le critère principal de jugement est survenu chez 22 des 54 patients (41 %) ayant eu une extraction de calculs biliaires pendant la CPRE.

 

Il n’existait pas de différence entre les deux groupes en analysant isolément les composantes du critère principal de jugement, à l’exception d’une proportion plus importante de patients développant secondairement une angiocholite (2 % dans le bras CPRE contre 10% dans le bras conservateur ; RR 0,18 ; IC 95 % [0,04-0,78]; p=0,010). Le taux de décès était similaire (respectivement 7 % et 9 %). Il n’existait pas de différence en termes de qualité de vie ni de coût moyen de prise en charge entre les deux groupes.


Parmi les 118 patients randomisés dans le bras CPRE, 112 patients ont effectivement eu la CPRE, dans un délai médian de 29 heures après le début des symptômes, et 54 patients (48 %) ont eu une extraction de calculs. Dans le bras conservateur, 35 patients (31 %) ont eu une CPRE dans un délai médian de 8 jours après la randomisation, principalement pour angiocholite (n=13) ou cholestase persistante (n=21). Le taux de complication post-CPRE était de 3 % dans les deux groupes. Dans le sous-groupe des 130 patients ayant une cholestase initiale, le critère principal de jugement est survenu chez 32 % des patients du groupe CPRE contre 43 % des patients du groupe conservateur (RR 0,73 ; IC 95 % [0,47-1,16]; p=0,18).

 

Commentaires
 

Cet essai multicentrique mené chez des patients admis pour PAb prédite comme sévère a démontré que la CPRE + SE en urgence systématique ne diminue pas le risque de complications majeures ou de décès, en comparaison à un traitement conservateur. Cela était vrai également dans le sous-groupe des patients avec cholestase initiale. Avec une stratégie conservative et recours à la CPRE + SE uniquement en cas d’angiocholite ou de cholestase persistante, environ deux tiers des patients ne nécessitaient pas de CPRE.

 

L’hypothèse qui sous-tend la pratique d’une CPRE + SE en urgence en cas de PAb est de limiter le temps d’obstruction biliaire et ainsi de limiter la gravité de la PAb en arrêtant le processus de pancréatite. Cette étude infirme cette hypothèse car il n’existait pas de différence d’évolution défavorable entre les 2 groupes, même en ne considérant que le sous-groupe des patients du bras CPRE ayant eu une extraction de calculs lors de la CPRE. Ainsi, une fois lancé l’orage cytokinique, la cascade enzymatique s’autonomise, et l’extraction de calculs (hors angiocholite bien sûr) ne modifie pas l’histoire naturelle de la PAb.

 

Il s’agit d’une belle étude, méthodologiquement solide, ayant inclus un grand nombre de patients homogènes, notamment en ce qui concerne l’origine biliaire de la pancréatite, l’exclusion en cas d’angiocholite initiale (indication formelle de CPRE+SE en urgence) et la prédiction de la sévérité de la PAb, bien que celle-ci ait été surestimée (au final seuls 15% des patients avaient une nécrose pancréatique au scanner). A noter la réussite logistique de l’étude avec la réalisation de la CPRE en moyenne dans les 3 heures suivant la randomisation.


Néanmoins, sa principale limite est l’absence de réalisation de la cholécystectomie systématique au cours de la même hospitalisation, comme cela est pourtant recommandé. En effet, l’étude PONCHO publiée par le même groupe avait démontré que cette stratégie permet de réduire le taux de récidive de complications lithiasiques après PAb, en comparaison à une cholécystectomie retardée (5% vs. 17%). Ainsi, les résultats à long terme de l’étude APEC doivent être considérés avec précaution car en l’absence de cholécystectomie systématique (en particulier dans le bras conservateur), on ne peut pas considérer que les patients aient été traités de façon optimale. En effet, le critère de jugement principal était mesuré dans les 6 mois suivants l’admission, donc englobait les complications éventuellement liées à l’absence de CPRE initiale en urgence, mais également celles liées à l’absence de cholécystectomie systématique. La CPRE seule, si tant est qu’elle soit efficace, ne suffirait donc pas et ne saurait se substituer à la cholécystectomie !

Références
 
Titre :

Pancréatite biliaire sévère sans angiocholite : pas de CPRE en urgence !

Titre original :

Urgent endoscopic retrograde cholangiopancreatography with sphincterotomy versus conservative treatment in predicted severe acute gallstone pancreatitis (APEC): a multicentre randomised controlled trial

Auteurs :

Schepers N, Hallensleben N, Besselink M, Anten MP, Bollen T, da Costa D, et al., van Delft F, van Dijk S, van Dullemen H, Dijkgraaf M, van Eijck C, Erkelens W, Erler N, Fockens P, van Geenen E, van Grinsven J, Hollemans R, van Hooft J, van der Hulst R, Jansen J, Kubben F, Kuiken S, Laheij R, Quispel R, de Ridder R, Rijk M, Römkens T, Ruigrok C, Schoon E, Schwartz M, Smeets X, Spanier M, Tan A, Thijs W, Timmer R, Venneman N, Verdonk R, Vleggaar F, van de Vrie W, Witteman B, van Santvoort H, Bakker O, Bruno M, on behalf of the Dutch Pancreatitis Study Group

Source(s) :

Article

Revue :

The Lancet

Références biblio. :

Lancet 2020;396:167-176 ; https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30539-0

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