Expert / Relecteur
Pr D. Laharie / Pr J-M. Péron
Rédaction
H. Joubert - Dessin : O. Juanati - Images : © Pr F. Zerbib
​Juin 2018

La maladie de Crohn est l’une des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) avec la rectocolite hémorragique. Elle est liée à une hyperactivité du système immunitaire digestif. De manière générale, les MICI sont partout en augmentation. L’Europe du Nord, de l’Ouest et les Etats-Unis sont les régions du globe où la maladie de Crohn est la plus prévalente. En France, plus de 120 000 personnes en sont atteintes.

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La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique du tube digestif dont la cause reste inconnue à ce jour.

L’inflammation se traduit par une muqueuse intestinale fragile, inflammatoire (« irritée »), siège d’ulcérations plus ou moins profondes qui peuvent aller jusqu’à la perforation pouvant provoquer des abcès au contact de l’intestin malade voire une péritonite, des fistules (communication entre l’intestin malade et d’autres organes de voisinage comme l’intestin, la vessie ou la peau) ou des rétrécissements inflammatoires du calibre du tube digestif (sténoses).

La maladie de Crohn évolue souvent par des phases d'activité appelées « poussées » totalement imprévisibles et très variables en intensité, entrecoupées de périodes de rémission. Son impact sur la qualité de vie peut être considérable. Lorsque les symptômes de la poussée sont sévères (hémorragie, diarrhées, difficultés d’alimentation, etc.), l’hospitalisation est nécessaire.

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Aspect typique de maladie de Crohn en iléoscopie : présence d’ulcérations superficielles reposant sur une muqueuse d’aspect normal

Image : © Pr David Laharie (CHU de Bordeaux)

Tous les segments du tube digestif sont potentiellement concernés, depuis la bouche jusqu’à l’anus. Le plus souvent, l’iléon et le côlon sont touchés. Dans la moitié des cas, l’anus est atteint (abcès, fissures, fistules anales).

Le tableau clinique est fonction de l’étendue, de la localisation et de l’intensité inflammatoire des lésions, avec de la diarrhée de façon prolongée, parfois sanglante (rectorragies), des douleurs abdominales, un amaigrissement et de la fièvre pouvant être liée à la formation d’un abcès. Une sténose peut être responsable d’une occlusion intestinale.

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Scanner abdominal avec injection de produit de contraste mettant en évidence un aspect inflammatoire, épaissi de l’iléon terminal classiquement observé au cours de la maladie de Crohn

Image : © Pr David Laharie (CHU de Bordeaux)

Les signes proctologiques (suintements, douleurs anales) ne sont pas à négliger.

La maladie de Crohn est aussi à l’origine de signes extra-digestifs telles des douleurs ostéo-articulaires et des manifestations cutanées, avec parfois l’apparition de nodules sous-cutanés inflammatoires (érythème noueux).

La fatigue, l’anorexie sont souvent le lot des malades de Crohn. Elle peut être responsable d’un retard de croissance chez l’enfant.

Qui présente un risque ?

Le tabagisme favorise et aggrave la maladie de Crohn

Les apparentés au premier degré de personnes ayant une maladie de Crohn ont effectivement un surrisque de développer la maladie par rapport au reste de la population, mais qui reste faible. Pour autant, la maladie de Crohn n’est pas une maladie héréditaire, ce qui n’exclut pas une susceptibilité génétique. En effet, certains gènes ont été identifiés comme favorisant l’apparition de la maladie lorsqu’ils sont mutés, à l’exemple du gène CARD15/NOD2 qui multiplie par 4 ou 5 le risque de souffrir de la maladie. 10 % à 25 % des personnes atteintes ont des antécédents familiaux de maladie inflammatoire chronique de l'intestin (MICI).

Le tabac joue un rôle majeur car associé à des formes plus graves de la maladie et plus difficiles à traiter. Il expose aussi à des rechutes plus fréquentes et à un surrisque d’opérations chirurgicales.

Aucune étude à ce jour n’a confirmé l’influence du stress ou d’un régime d’exclusion de certains aliments sur le déclenchement de la maladie ou de ses poussées. En revanche, le risque de carences (fer, vitamine D) et de dénutrition est important. Les supplémentations en acides gras oméga-3 et en probiotiques ne sont pas recommandées.

Une modification de la composition du microbiote intestinal (dysbiose) est fréquemment retrouvée dans la maladie de Crohn, sans que l’on sache si elle est une cause ou une conséquence de l’inflammation chronique.

L’augmentation de la perméabilité de la paroi intestinale, laissant passer des fragments bactériens au sein de l’épithélium intestinal, pourrait expliquer l’activation du système immunitaire et, de ce fait, la réaction inflammatoire localisée

Les examens

Les examens endoscopiques et radiologiques cartographient des lésions intestinales

Le diagnostic de maladie de Crohn est établi d’une part au moyen de prises de sang confirmant une inflammation ou une anémie et, d’autre part, par la réalisation d’une endoscopie œso-gastro-duodénale (EOGD) et d’une coloscopie  qui permet de visualiser l’inflammation au niveau de la muqueuse intestinale, typiquement des ulcérations superficielles ou profondes.

Le scanner (tomodensitométrie), l’échographie ou une Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) permettent de mieux visualiser l’intestin grêle et peuvent révéler une complication (abcès, perforation, sténose).

Un faisceau d’arguments étaye la piste du processus inflammatoire avec tout d’abord la localisation, l’aspect endoscopique particulier de l’intestin et, dans un tiers des cas, la présence sur les biopsies (prélèvements effectués à l’aide d’un endoscope) de granulomes épithélioides (amas de cellules macrophages, ces globules blancs appartenant au système immunitaire), très évocateurs de la maladie.

Une IRM du périnée peut être utile pour explorer une fistule ou un abcès péri-anal.

Les traitements

L’inflammation sous contrôle

L’arrêt du tabac conditionne la réussite du traitement. Celui-ci ne permet pas de guérir la maladie. Il vise à limiter les poussées, à prévenir les complications, les récidives et en particulier post-opératoires.

La suppression des symptômes est l’objectif principal pour le patient.

La finalité du traitement est d’obtenir la cicatrisation des lésions de la muqueuse intestinale et de faire disparaître l’inflammation.

Plusieurs lignes de traitement existent, dont la corticothérapie. Elle est essentiellement prescrite en cures courtes lors des poussées, avec l’objectif de réduire l’exposition des patients à ses effets indésirables (prise de poids, manifestations cutanées, diabète, ostéoporose).

Les médicaments immunosuppresseurs constitués des thiopurines (azathioprine, 6-mercaptopurine) et du méthotrexate agissent de manière très ciblée sur certains acteurs du système immunitaire afin de calmer les réactions inflammatoires. Ils sont parfois utilisés seuls mais le plus souvent en combinaison avec les biothérapies. Celles-ci sont en majorité des « anticorps monoclonaux » qui modifient la réponse biologique en prenant pour cible des voies de l’inflammation digestive dont la plus connues est le facteur de nécrose tumoral (TNF). Quatre sont commercialisés : les anti-TNF infliximab et adalimumab et, plus récemment, l’ustekinumab, ciblant d’autres acteurs de l’inflammation, prescrit chez les patients réfractaires aux autres thérapeutiques. Un autre anticorps monoclonal, le vedolizumab, module l’immunité spécifiquement au niveau du tube digestif, avec l’avantage de limiter le risque d’infections et d’immunodépression généralisée. Son remboursement est remis en cause depuis 2017 dans la maladie de Crohn.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont à éviter, car ils peuvent provoquer une poussée ou aggraver des lésions intestinales.

Dans la maladie de Crohn, 50 à 70 % des patients devront subir une intervention chirurgicale dans les dix ans. Il s’agit pour le chirurgien de réséquer la partie de l’intestin malade ou de réparer une complication (sténose, fistule).

Malheureusement, la chirurgie n’empêche pas les récidives de la maladie, lesquelles sont presque constantes, dans 90 % des cas, y compris en l’absence de tout symptôme. C’est pourquoi toutes les précautions sont prises pour reséquer uniquement les segments d’intestin malade afin de le préserver au maximum.  Dans certains cas, le chirurgien recourt de façon temporaire à une stomie (anus artificiel). Elles sont rarement posées de façon permanente.

Signes d'alarmes
Quand s’inquiéter ?
Certains signes sont le témoin d’une complication de la maladie de Crohn, au rang desquels figurent un amaigrissement important et une dénutrition dus à une malabsorption ou à une atteinte étendue de la maladie, une fièvre, des douleurs intenses inhabituelles, des diarrhées sanglantes, une occlusion intestinale se manifestant par un arrêt du transit et des vomissements.
Ils imposent un bilan rapide, par scanner (tomodensitométrie) notamment.
Chiffres
1 pour 1000
La maladie de Crohn touche 1 personne sur 1000.
5 à 10 cas
5 à 10 nouveaux cas de maladie de Crohn pour 100 000 habitants et par an.
120 000
Plus de 120 000 personnes sont atteintes de la maladie de Crohn en France.
20-30 ans
Le pic de fréquence de la maladie de Crohn se situe entre 20 et 30 ans mais elle peut débuter à tout âge.
10 à 20 %
10 à 20 % des personnes sont en rémission de façon durable suite à la première poussée de la maladie.
Idées reçues
La maladie de Crohn est héréditaire
Ce qui n’exclut pas une susceptibilité génétique. La physiopathologie de cette maladie est complexe. L’association de divers facteurs de risque concourent à l’inflammation de l’intestin, dont le tabagisme, des modifications de la composition du microbiote intestinal et un dysfonctionnement du système immunitaire chez des personnes qui sont génétiquement prédisposées à développer la maladie.
La grossesse est possible
Vrai
La grossesse d’une femme souffrant de la maladie de Crohn est envisageable, cependant son impact sur la maladie est imprévisible. Elle peut calmer la maladie, à l’inverse déclencher des poussées (avec le risque d’avortement spontané ou de croissance difficile du fœtus) ou même n’influencer en rien l’état de santé de la femme. Il est néanmoins préférable de programmer une grossesse en période de rémission et de suivre son traitement à la lettre afin de ne pas favoriser les poussées. Certains médicaments doivent néanmoins être totalement interrompus, ou partiellement au cours du dernier trimestre de grossesse.
Les biothérapies sont des médicaments dangereux
VRAI et FAUX. Ces médicaments sont potentiellement dangereux s’ils sont administrés en cas d’infection évolutive. Mais dans l’immense majorité ses cas, leur sécurité d’emploi est bonne. Le risque principal est infectieux.
Je vais être opéré de la maladie de Crohn. J’aurai un anus artificiel
VRAI et FAUX. La nécessité d’une stomie va dépendre de l’indication opératoire. En cas de complication (abcès, péritonite), le chirurgien ne peut suturer les bords de l’intestin après résection sans prendre le risque qu’elle n’induise une fistule (abouchement anormal d'une cavité dans une autre). Cette suture doit pour cette raison être protégée par une stomie pour laisser le temps de la cicatrisation. Son rôle est de dériver les selles. Le rétablissement de la continuité sera effectué dans un second temps opératoire, deux à trois mois après. Dans de très rares cas, ça n’est cependant pas possible et la stomie est alors laissée en place de façon permanente.
Les lésions de l’anus et du périnée n’ont rien à voir avec la maladie de Crohn qui touche uniquement l’intestin
Faux
La maladie de Crohn peut aussi s’étendre à l’anus et détruire l’appareil sphinctérien anal, au risque d’induire une incontinence. D’où la nécessité de dépister ces lésions précocement pour en limiter les conséquences. Il faut toujours consulter en cas de symptôme proctologique (douleur, prurit anal/démangeaisons, suintement, etc.).
Il est parfois difficile de distinguer une maladie de Crohn d’une rectocolite hémorragique (lien sur la fiche), toutes deux des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)
Vrai
C’est le cas dans 10 à 20% des cas.